Aïna regarda par la fenêtre de sa chambre.
« Il neige ! » S’écria-t-elle en riant comme une petite folle.
Elle ouvrit les portes vitrées et sortit sur le balcon de sa chambre en tournoyant. Elle adorait la neige. Pouvoir courir sur un manteau blanc soyeux. Pouvoir faire un bonhomme de neige et l’admirer tous les jours. Elle s’arrêta en voyant que plusieurs voitures s’arrêtaient devant la maison voisine. Elle se cacha en dessous de la rambarde et regarda des jeunes garçons sortir des voitures et entrer dans la maison. Elle s’aventura hors de sa cachette et grimpa à l’arbre qui longeait son balcon.
Combien de fois avait-elle eu ses gestes depuis son enfance ? Elle y grimpait depuis qu’elle savait marcher.
Sauf qu’avec la neige, elle n’avait pas prévu de glisser. Elle poussa un cri en se sentant tomber. Un gémissement la surprit. Bizarrement, elle n’avait mal nulle part. Elle ouvrit les yeux et tomba sur un jeune homme en dessous d’elle qui grimaçait de douleurs. Elle se releva en vitesse.
« Pardon ! Je suis désolée ! » Paniqua-t-elle.
« Serais-tu tombée du ciel ? » Sourit le jeune homme avec un air un peu malicieux.
« Euh…non ! Du balcon là. » Répondit-elle très sérieusement.
« Ca tombe à plat, hein David ! » Se moqua un autre garçon de la porte d’entrée.
« Va mourir Jan ! » Gueula le dit David qui se releva et qui lui tendit une main aux longs doigts fins.
« Tu es pianiste ! » S’écria-t-elle en se relevant sans lui prendre la main.
David la regarda avec surprise.
« Euh. Oui ! »
« Je m’en doutais. » Ria-t-elle. « Tu as les mêmes mains que mon frère… »
« MADEMOISELLE ! » Hurla une vieille femme qui accourut vers eux en tenant un long châle bleu. « Etes-vous folle de sortir par ce froid ? Vous allez attraper la mort. Que diraient vos parents de vous voir à une heure pareille dehors avec un inconnu ? »
« Ce n’est pas un inconnu mais le voisin. »
La vieille grimaça en jetant un regard dédaigneux à un David plus que surpris par cette attitude.
« A plus tard. » Lança-t-elle en se laissant tirer par la vieille femme.
David la regarda entrer dans l’immense maison, incertain. Il rentra dans leur villa, les yeux dans le vague.
« Tu es tombé sous le charme de la voisine ou quoi ? » Se moqua Frank en lui servant une assiette de nourritures.
David leva les yeux au ciel.
« Non mais elle a oublié de me donner son prénom. »
Les autres ricanèrent. Seul Timo continuait de le dévisager.
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Aïna rigola en sortant dans le jardin en chemise de nuit. La neige n’avait pas fondu. Ses pieds nus touchaient le sol gelé mais elle était tellement heureuse qu’elle ne prenait pas garde à la morsure de la neige sur sa peau.
« MADEMOISELLE ! » S’écria la vieille dame en la rattrapant. « Mais vous voulez vraiment attraper la mort. Votre cours va commencer. Rentrer. »
Aïna fit la moue en obéissant. Pour une fois qu’elle pouvait s’amuser.
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David regarda avec surprise la jeune voisine courir dans la neige en riant aux éclats.
Etait-elle si jeune que ça ? Pourtant elle semblait avec une vingtaine d’année comme lui. Ses longs cheveux noirs cascadaient le long de sa robe bleu foncé. Sa peau était aussi pâle que la neige sur laquelle ses pieds dansaient.
Il la fixa un long moment. Elle avait quelque chose de complètement irréel.
« Encore entrain de rêvasser. » Le surprit Juri en entrant dans la cuisine.
David ne répondit rien et se détourna du jardin. Il se servit une tasse de café brûlante et se rendit dans la salle de musique. Etrangement la vision de la jeune femme dansant sur la neige ne le quittait pas.
Il prit quelques partitions et se mit à gribouiller dessus laissant son imagination et sa passion de la musique guider son crayon.
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Voilà une semaine qu’ils planchaient sur leur album. Ils avaient une trentaine de morceaux à présenter à leurs producteurs. Pour un premier album, ils se débrouillaient plutôt bien. Ils avançaient à grands pas.
« Mais je vous ai dit que je n’aimais pas cette musique ! » Le fit sursauter une voix de fille.
David s’approcha de la barrière qui séparait leur jardin de celui de leurs voisins.
« Je suis votre professeur, vous me devez obéissance. » S’écria un homme d’une quarantaine d’année. « Vos parents seraient très peiné d’apprendre que vous refusez de jouer leur musique vous savez. »
David la vit faire une moue dédaigneuse et cracher :
« Je me moque de leur musique industrielle. Il n’y a aucune âme ni aucun amour dans ce qu’ils créent. »
Le professeur afficha un air outré, prit ses affaires et s’en alla. Elle resta au milieu de la salle les bras ballant, le regard vide. Elle se tourna vers le piano, s’assit en face et se mit à jouer. David sourit malgré lui en l’entendant. Il se retrouva transporter par sa mélodie.
C’était doux et chaleureux.
Elle tapa brusquement sur les touches avec rage en plein milieu de son interprétation. Il la regarda refermer avec colère le clapet du clavier et sortir de la salle de musique à grands pas.
« Ma parole mais tu passes tes journées à rêver ! »
David soupira en jetant un regard assassin à Jan qui lui fit un sourire innocent.
Il rentra avec le DJ en se demandant qui pouvaient bien être leurs voisins.
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Aïna soupira. Encore un Noël toute seule dans cette grande maison. Elle sortit dehors couverte d’une longue veste rouge. La neige tombait plutôt bien pour un vingt cinq décembre. Elle sourit en courant sous la neige. Elle adorait l’hiver. Voir les flocons tomber et s’amasser sur le sol pour former un beau manteau blanc.
Elle marcha longuement sous la neige et le froid.
Aïna s’arrêta en entendant une musique. Elle s’approcha d’une porte-fenêtre et regarda un jeune homme jouer au piano.
Les parents d’Aïna étaient de grands musiciens, reconnus dans le monde entier. Elle-même était une jeune virtuose. Elle avait remporté grand nombre de concours.
Elle détestait ses parents qui n’étaient jamais là et qui vendaient des disques à tout va sans se soucier de l’Ame de leur musique. Tout ce qu’ils jouaient était dépourvu de sentiments et lui donnait la chaire de poule tellement ils étaient vides de sens.
Ce garçon…
David…
Il jouait avec ses trippes et son cœur un des morceaux composés par ses parents. Il s’arrêta de jouer en la regardant, surpris.
Aïna se sentit rougir de s’être laisser apercevoir la main dans le sac. David courut à la porte ne lui laissant pas le temps de faire demi-tour.
« Entre donc ! » S’empressa-t-il de l’inviter.
Elle obéit, rouge pivoine.
« Désolée. J’ai entendu ta musique et j’ai voulu voir qui jouait si bien ! » Bégaya-t-elle, timidement.
David prit un air gêné.
« Ce n’est pas grave. Tu veux quelque chose à boire. »
« Non ! Non ! » S’exclama-t-elle. « Je ne veux pas vous déranger. »
« Tu ne déranges pas… » Lui sourit-il. « Viens, je vais te présenter aux autres. »
Aïna le suivit, peu sûre d’elle.
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David l’emmena dans le salon où se disputaient cinq garçons autour d’une console.
« Eyh les mecs, je vous présente notre voisine…euh… »
Il jeta un regard perplexe à sa voisine qui sourit, amusée.
« Aïna Decourt. »
David resta ébahi un instant alors que ses amis saluaient la nouvelle venue et se présentaient les uns après les autres.
« Attends… Decourt comme… »
« Les musiciens oui ! Je suis leur fille. » Sourit-elle, ses yeux bleus brusquement voilés par un sentiment qu’il ne parvint pas à déchiffrer.
« Je ne savais pas qu’ils avaient une fille… » Murmura-t-il toujours un peu sous le choc.
Elle sourit simplement. Jan intervint en sentant que les évènements prenaient une tournure embarrassante.
« Tu veux jouer avec nous ? »
« Je ne voudrais pas… » Commença-t-elle avant de se faire tirer par Juri qui la força à s’asseoir près de lui.
« Je te laisse ma place. Je commence à en avoir assez de tous les battre. » Ricana Juri.
« Oh le menteur ! » S’exclama Jan. « Tu triches c’est pour ça que tu gagnes. »
« Mauvais perdant oui ! »
Et ils se chamaillèrent un long moment avec Aïna entre eux qui riait aux éclats. David ne participait pas beaucoup. Il ne faisait que la regarder.
Il y avait une telle aura d’irréalité autour d’elle qu’il avait la sensation de contempler un ange. Des notes de musique vrillaient son crâne sans qu’il ait besoin d’y réfléchir un instant.
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Aïna jeta la lettre dans le feu ouvert. Agenouillée au sol, elle regarda les feuilles devenir cendre. Depuis toujours, elle avait l’impression de n’être qu’une tâche dans leur vie si paisible et si bien programmée. Combien de fois avait-elle espérer qu’ils viennent le jour de Noël avec un tas de cadeau et qu’ils passent la soirée tous les quatre sans téléphone qui sonnent, sans un producteur pour une nouvelle annonce de tournée.
Elle se releva, enfila son manteau et sortir pour se rendre chez ses voisins.
Elle les vit tous dans la salle de musique. Elle entra discrètement sur un signe de Juri. Elle aimait bien le batteur pour sa discrétion et sa capacité d’écoute.
Frank était le grand frère toujours absent qu’elle aurait voulu avoir à ses côtés tous les jours. Linke était comme elle, calme et posé en apparence mais se révélant être un jeune chien fou aux idées loufoques. Jan était le petit dernier qui se faisait remarquer par sa capacité à monologuer alors que personne ne semblait l’entendre et qui ne perdait jamais sa bonne humeur même quand tout va mal. Timo restait un peu en retrait mais ne la rejetait pas pour autant. Il semblait attendre quelque chose de sa part mais elle ne savait dire quoi. Elle se doutait qu’il épaulait David pour une raison obscur à ses yeux.
En parlant de David…
Elle le regarda, assis devant le piano à jouer un de leur titre en acoustique. Elle ne savait pas trop le cerner. Il était calme, posé, gentil, bourré de talent, toujours à l’écoute et attentionné. Il semblait la regarder différemment des autres. Elle ne saurait expliquer comment il la voyait mais elle savait qu’il ne s’agissait pas du même regard que ses amis.
« Et si tu jouais avec David ? » L’étonna Linke.
Elle le regarda sans comprendre.
« Tous les jours, nous t’entendons jouer du violon. Vous pourriez faire un petit duo pour nous non ? » Expliqua Juri.
Aïna lança un regard incertain à David mais il souriait simplement.
« Pourquoi pas ! »
En entendant sa réponse, le cœur de la jeune femme bondit dans sa poitrine la prenant par surprise. Frank lui tendit un violon qu’elle prit un peu tremblante.
Elle se posta juste à côté du piano sans oser regarder qui que ce soit. Elle inspira profondément alors que David entamait une mélodie. Au bout d’un instant, elle saisit la mélodie au vol et se mit à jouer de son instrument sur les accords du piano.
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David jouait, étonné au plus haut point. Elle n’avait même pas jeté un coup d’œil à la partition ou demandé s’il y en avait une. Elle improvisait au fil des notes qu’il jouait. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’il se mettait à improviser à son tour.
C’était une musique unique que chacun entendit à sa manière.
Timo fixait son meilleur ami avec crainte. Il ressentait et reconnaissait les prémisses d’une relation plus qu’amicale. Il reconnaissait les débuts d’une histoire profondément émouvante et par trop touchante. Il ne savait s’il devait se réjouir ou empêcher cela. Ce n’était pas de l’égoïsme de sa part mais plutôt un besoin de protéger son meilleur ami. Son frère. Il ne voulait pas qu’il soit blessé et qu’il souffre. Aïna n’était pas méchante. Elle était même un ange de bonté et de douceur mais une petite voix, au fond de lui, lui criait que rien ne découlerait de bon de cette aventure. Il écouta la musique et discerna ce qu’il craignait caché sous les notes du duo.
David n’était pas du style à espérer seul et en silence. Il faudrait qu’il ouvre son cœur d’une manière ou d’une autre mais Timo craignait que sa chute ne soit trop rude.
Il ne put faire qu’une chose : se promettre de recoller les morceaux du cœur brisé de son meilleur ami du mieux qu’il le pourrait.
David et Aïna finirent leur représentation sous les applaudissements.
« Tu as un talent monstre ! » S’écria Jan.
Aïna rougit furieusement.
« N’exagère pas. Je me débrouille bien. » Souffla-t-elle morte de gêne.
« Tu rigoles. Je n’ai jamais rien entendu de plus beau. Il faudra penser à vous enregistrer d’ailleurs ! » Décréta Juri.
David et Aïna se jetèrent un regard ravi et amusé. La musique les mettait complètement sur la même longueur d’onde.
« Euh ! Aïna, je crois que la vieille te cherche. »
« Oh mince ! » S’écria-t-elle en sortant. « A demain ! »
Elle courut jusque chez elle, entrant en tentant de ne pas se faire remarquer par sa nounou qui la rattrapa aussi vite et lui passa un savon mémorable.
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« Si tu le pouvais où voudrais-tu jouer du piano? » Demanda Aïna assise à côté de David dans le jardin couvert de neige.
« Devant des milliers de fans. » Rigola David avant de prendre un air plus sérieux. « En fait… Mais c’est un secret… »
Aïna sourit et l’écouta attentivement.
« J’aimerais jouer devant la mer… Une chaine de montagne… Un océan… L’espace… peu m’importe tant que je joue et que la personne qui m’est désignée pour l’éternité m’entend et me rejoint. »
Aïna rigola légèrement. David n’avait pas l’air au premier abord mais il était étonnement romantique. Ce trait de caractère chez lui l’avait surprise puis émus et à présent, cela le rendait, à ses yeux, encore plus attachant et unique.
« Moi, je viendrai t’écouter à coup sûr. Même si je ne suis pas cette personne. » Sourit-elle.
David était surpris.
« Mais pourquoi ? » S’étonna-t-il.
Elle rigola :
« Parce que tu es bête ! »
Et elle s’en alla, le laissant comme deux ronds de flancs sur le banc.
« A demain. » Lança-t-elle en retournant chez elle.
Aïna ferma la porte et s’effondra au sol, le souffle court.
« Mademoiselle Aïna. » S’écria sa nounou en l’aidant à se relever.
« Ca va, ne t’en fais pas. Je dois juste me reposer un peu. »
« Vous devriez être plus prudente. Vous sortez trop depuis une semaine. »
« Mais ils sont si gentils. » Marmonna-t-elle en se laissant coucher sur son lit. « Je m’amuse bien avec eux, tu sais. »
« Ma petite fille, ils te tueront sûrement. »
Aïna sourit, amusée. Sa nounou s’inquiétait toujours pour elle et la couvait beaucoup trop.
Elle s’endormit sous la lecture de sa nounou.